LA CHAPELLE
Ce poème "La Chapelle" est tiré d'un fascicule imprimé en 1962 "Gorge d'Héric _ L'Espinouse"
écrit à la mémoire O. Chales Galtier, chantre passionné de l'Espinouse. L'auteur, M. Vieu, ancien sous-préfet, retiré à Murat, d'après une note manuscrite de l'auteur en page de garde.
Le soleil qui montait dans le clair firmament
Donnait à l'Espinouse un air grave et charmant:
Hameaux infortunés, ruines prophétiques,
Frais rivages bordés de bois mélancoliques,
Terres qui sommeillaient dans les plus beaux vallons,
Où les épis dorés fuyaient devant les joncs,
Vastes plateaux rendus à leur source première
Tout pleurait et chantait sous l'ardente lumière.
Nous allions lentement à travers les genêts.
Les rires des enfants et leurs cris étonnés
Se mêlaient dans l'écho joyeux de la montagne.
Je suivais les ébats de ma jeune compagne.
L'herbe l'enveloppait. Seules ses boucles d'or
Au-dessus des genêts apparaissaient encor.
Un ciel profond et doux, aux teintes langoureuses
Baignait de son azur nos âmes valeureuses.
Par moment, l'horizon de pourpre se voilait.
La fraîcheur du matin que la terre exhalait
Encourageait nos pas et bientôt la bruyère
Nous livrait le chemin de l'étape dernière.
Un fragile sentier, souple et raide à la fois,
Nous conduisit, sans hâte, à l'ombre d'un grand bois.
La bise qui régnait dans ces lieux désertiques
Fouettait les noirs sapins aux branches squelettiques:
Fantômes nus, privés de leurs feuillages verts,
Comme en dut voir Orphée aux portes des Enfers.
La nature autour d'eux prenait un air sauvage:
Aux buissons plus de fleurs, aux sentiers plus d'ombrage.
Devant nous le Caroux, lest les flancs sont à pic,
Se dressait, orgueilleux, sur les gorges d'Héric.
A nos pieds s'étendait le précipice immense.
Au fond, comme un beau lac entouré de silence,
Une eau pure, irréelle, et d'un bleu de saphir,
Dormait et frissonnait sous quelque doux zéphyr.
Et près du bois, modeste et penchant vers l'abîme,
Apparut à nous yeux la chapelle sublime.
Elle semblait prier dans le soleil levant.
Basse, sur le coteau balayé par le vent,
Sentinelle accroupie au milieu d'un peu d’herbe,
Les rochers l'écrasaient de leur masse superbe.
Elle ne savait plus le nombre de ses ans.
Mais chétive, à côté des sombres rocs géants,
Elle gardait toujours la vision profonde
Des siècles où l'amour soulevait tout un monde.
Si frêle près du gouffre et du Caroux altier.
Elle restait du ciel le solide pilier.
Fragile dans ses mures lézardés jusqu'au faîte,
Elle raillait le sort et bravait la tempête.
Humble dans son accueil et triste sous son toit,
Elle resplendissait de misère et de foi.
Nous demeurions pensifs devant tant de détresse
Unie à tant de force et à tant d'allégresse,
Et nous songions qu'un monde où l'espoir ne meurt pas
Est digne d'affronter la vie et son trépas.
A travers les barreaux robustes d'une grille,
On pouvait voir l'autel où nul cierge ne brille,
Mais dont un vague jour troublait l'obscurité;
Et ce pauvre berceau, quand nous l'avons quitté,
Nous parut une nef prodigieuse et splendide.
Au dehors l'horizon devenait moins limpide,
Et l'immense décor qu'embrasse le regard
Se perdait dans la brume et nous venions trop tard.
Alors, abandonnant ce site féérique,
Nous avons salué la chapelle rustique;
Son ombre, par degrés, sur les cimes décrut,
Et bientôt la vision sublime disparut.